« Les gens sous-estiment l’importance du transport maritime », note Mathieu St-Pierre, président-directeur général de la Sodes. Pourtant, été comme hiver, le fleuve Saint-Laurent, qui coule jusqu’à l’Atlantique, transporte personnes et biens.
Dans les pays occidentaux, 80 % des biens de consommation sont transportés par bateau, selon les Nations unies. Avec ses 15 000 emplois directs dans 500 établissements (transport maritime, ports, chantiers maritimes, etc.), l’industrie maritime occupe une place importante dans l’économie du Québec.
C’est pour faire découvrir cette réalité que la Société de développement économique du Saint-Laurent (Sodes) a lancé la campagne « Le fleuve nous unit ». « Nous voulons démontrer l’importance du secteur maritime », explique M. St-Pierre, p.-d. g. de l’OBNL qui fédère l’écosystème maritime québécois, rassemblant une centaine de membres de tous horizons, de Havre-Saint-Pierre aux écluses menant vers les Grands Lacs.
Secteur névralgique
Grains, sucre, vin en vrac, produits informatiques, fruits exotiques d’un côté ; porc, minerais divers et sirop d’érable de l’autre : de nombreuses matières sont transportées sur le Saint-Laurent. « Les gens comprennent mal l’impact de l’industrie logistique, même si la COVID a permis une prise de conscience de la nécessité du système de transport pour nos produits de consommation et nos industries. Mais il y a encore moins de connaissances par rapport à l’aspect maritime [de la logistique] », évoque Martin Trépanier, professeur à Polytechnique Montréal et directeur du Centre interuniversitaire de recherche sur les réseaux d’entreprise, la logistique et le transport.
Le Saint-Laurent est largement considéré comme la porte d’entrée maritime de l’Amérique du Nord, et il occupe une place importante dans le développement local et régional. « Le Saint-Laurent est un grand fleuve, mais c’est également une grande économie. Mis ensemble, le Québec, l’Ontario et les huit États américains autour représentent la troisième économie au monde », souligne Thierry Warin, professeur au Département d’affaires internationales à HEC Montréal. Une grève dans un port ou un incident peut donc avoir des conséquences importantes. Pensons seulement au navire échoué dans la voie maritime à hauteur de Kahnawake pendant 48 heures en août dernier, qui a entraîné des pertes financières se chiffrant potentiellement en centaines de millions de dollars.
La voie maritime a également des retombées sur l’économie locale. « Il y a beaucoup de pôles logistiques, d’entrepôts, où les marchandises sont apportées et valorisées avant d’être redistribuées. C’est l’une des forces du corridor », précise Mathieu St-Pierre.
Mobilité durable
Le navire reste le mode de transport le plus vert ; il émet le moins de gaz à effet de serre (GES) et il utilise moins de carburant par tonne de marchandises transportées par rapport aux autres modes de transport. De plus, contrairement au port de New York ou au port de Vancouver, le corridor du Saint-Laurent permet d’entrer plus loin dans le territoire avant d’avoir besoin de recourir à des modes de transport terrestre.
Malgré tout, aucun moyen de transport n’est blanc comme neige, et le transport par navire a des impacts sur les écosystèmes comme sur les communautés riveraines. « L’industrie maritime utilise une ressource renouvelable (l’eau du fleuve). On doit en prendre soin si on veut l’utiliser comme une autoroute économique », ajoute M. St-Pierre. Des zones de réduction de vitesse (volontaires, donc non obligatoires) ont ainsi été implantées pour protéger les mammifères marins et diminuer l’érosion des berges. Le secteur maritime doit également se préoccuper d’établir de bonnes relations avec les communautés pour bénéficier d’une acceptabilité sociale.
Des projets de recherche sont mis en place pour mieux connaître l’écosystème et réduire le bruit et les nuisances, sur l’eau comme sur la terre, des activités maritimes. « Plus on transporte de choses sur le Saint-Laurent, plus on aura d’impact. La question est, peut-on utiliser de meilleurs outils de décision pour réduire celui-ci ? », soulève M. Warin, qui est par ailleurs chercheur et fellow au CIRANO, le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations.
La réduction des impacts passe par une meilleure organisation des activités maritimes, à travers des outils d’intelligence artificielle, notamment. « On veut utiliser le bon mode, au bon moment, avec le bon type de marchandise », précise Mathieu St-Pierre, qui souligne qu’on ne peut pas pour autant s’attendre à recevoir instantanément des marchandises commandées à l’autre bout du monde.
De plus, la Sodes est impliquée dans une démarche concertée de partage des données entre les organisations maritimes. Ces données aident à la fois à améliorer la fluidité du transport, à limiter les impacts et les émissions de GES, et à rester concurrentiel, croit M. St-Pierre. « Tout ça fait en sorte que le fleuve est un vecteur de science et d’innovation », observe Martin Trépanier.
En mettant en relation les différents acteurs du secteur, la Sodes veut contribuer à l’adoption d’approches plus durables. « L’idée, c’est de les regrouper, même s’ils sont des compétiteurs. Tout le monde doit travailler dans un intérêt commun », résume M. Trépanier.
Entrevue du président-directeur général de la Société de développement économique du Saint-Laurent, Mathieu St-Pierre avec Mme Catherine Couturier, Le Devoir. Transport maritime: grand fleuve, grande économie | Le Devoir