Donald Trump n’a pas tout à fait tort lorsqu’il prétend que ce sont les pays étrangers qui doivent assumer la facture des droits de douane imposés par Washington. Le mécanisme pour expédier de la marchandise chez nos voisins du Sud a déjà réservé de mauvaises surprises à des exportateurs d’ici.
Qui paye les droits de douane ?
En principe, c’est l’importateur du produit. Aux États-Unis, il s’agirait donc de l’entreprise qui achète un produit auprès d’un fournisseur canadien. C’est toutefois ici que les choses se compliquent. Plusieurs expéditeurs canadiens exportent au sud de la frontière en vertu du modèle « rendu sur les droits acquittés » (delivered duty paid en anglais). Il s’agit d’un mécanisme où le vendeur assume la responsabilité des coûts et des formalités de livraison, comme le dédouanage, jusqu’à ce que la marchandise arrive au destinataire. Pour les Américains, il est donc considéré comme l’importateur attitré.
« Il y a certaines entreprises américaines qui vont prendre en charge le dédouanement, mais c’est très rare, raconte Nicolas Barrière, directeur général de Courtage BGL. À 95 %, ç’a toujours été les exportateurs canadiens qui se sont occupés du dédouanement. »
Cela signifie quoi ?
Que de nombreux exportateurs québécois ont eu de mauvaises surprises en début de semaine, avant le nouveau sursis tarifaire de 30 jours consenti par l’administration Trump. Courtage BGL et Dolbec International ont relaté à La Presse plusieurs situations du genre. « Il y a des entreprises [de plusieurs centaines d’employés] qui ne savent pas que c’est elles qui doivent payer le 25 % étant donné qu’elles ont la charge du dédouanement, dit M. Barrière. Il semble que la majorité des clients canadiens ne réalisaient pas cette distinction jusqu’à maintenant. »
Le son de cloche est similaire du côté de Dolbec International. « Par exemple, j’ai eu une réunion avec une grosse entreprise qui venait de s’apercevoir qu’elle était dans cette situation, explique son vice-président aux ventes, Denis Gendron. Je ne pense pas que ça sera la dernière. »
Pourquoi personne ne semble au courant ?
Difficile de blâmer qui que ce soit, selon les deux firmes de courtage. Après tout, l’entrée en vigueur du premier traité de libre-échange entre le Canada et les États-Unis remonte à 1989. Cela fait plus de 35 ans que la plupart des droits de douane à la frontière canado-américaine ont été éliminés – jusqu’à tout récemment.
« Là, c’est comme si les Canadiens venaient de tomber des nues, affirme M. Gendron. Ils viennent de s’apercevoir qu’ils sont considérés comme des importateurs. Mais jusqu’à tout récemment, il n’y en avait pas, de droits, à la frontière. Le courtier dédouane la marchandise et facture ses honoraires de courtage. Ça fonctionnait comme cela. »
À qui va la facture ?
C’est ici que le jeu des négociations s’installe entre l’exportateur et son client américain. Chaque entente comporte ses particularités, alors les scénarios varient d’une entreprise à l’autre. Par exemple, certaines pourraient demander à l’acheteur de prendre en charge le dédouanement de ses commandes, mais cela a peu de chances de se produire, selon M. Barrière. « La majorité des compagnies américaines disent : “Si tu veux me vendre de la marchandise, elle doit être livrée à ma porte avec tous les droits acquittés.” »
Les autres options ? « On peut dire : “J’ai 25 % de droits de douane à payer, j’augmente donc mon prix de 25 % parce que j’ai une facture qui m’attend” », souligne M. Gendron. Ce dernier ajoute que les deux parties peuvent aussi consentir à se partager les droits de douane. Le directeur général de Courtage BGL estime cependant que le moment est venu, pour les exportateurs d’ici, de passer leurs contrats au peigne fin. « Assurez-vous d’être [protégés] au chapitre des déboursés, dit M. Barrière. Par exemple, que les droits de douane soient à la charge de vos clients. »
Un dégonflement attendu
Malgré le répit tarifaire obtenu par Ottawa, la Maison-Blanche affirme que 62 % des importations canadiennes sont encore assujetties aux droits de douane. Pierre-Marc Gervais, président-directeur général du courtier en douane Axxess International, n’est pas surpris. « On parle d’une proportion en valeur, dit-il. Ce sont beaucoup des ressources naturelles comme le pétrole et la potasse. » L’exemption consentie par Washington vise les produits certifiés d’origine en vertu de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique. Avant l’offensive tarifaire américaine, certaines entreprises ne ressentaient pas le besoin d’obtenir cette certification. « Il y avait plusieurs produits qui n’étaient pas visés par des droits de douane, ajoute M. Gervais. J’imagine que oui, cela va changer. » Généralement, les entreprises qui veulent profiter d’un traitement préférentiel doivent certifier que 50 % de la valeur du produit émane de l’Amérique du Nord. Le processus administratif peut s’effectuer avec l’aide d’un courtier en douane, notamment. M. Gervais s’attend à voir des entreprises se manifester pour obtenir cette certification.
Article de Julien Arsenault, La Presse, Guerre tarifaire | La mauvaise surprise des exportateurs canadiens | La Presse