Article de Mathieu Perreault, journaliste à La Presse, 7 septembre 2024
Depuis quelques années, les baleines noires sont plus nombreuses dans le golfe du Saint-Laurent. Leur présence chambarde les trajectoires des pêcheurs et des croisières. L’Agence spatiale canadienne (ASC) vient de sélectionner cinq technologies satellites pour atténuer le problème.
Prédire les collisions
L’un des groupes retenus par l’ASC, le géant du génie-conseil WSP, a mis au point un outil de prévision du risque de collision entre navires et baleines noires dans une région donnée dans les 12 heures suivantes. « Nous avons vérifié que la prévision est bonne avec des archives de cinq ans », explique Patrick Lafrance, vice-président, Écologie et évaluation des impacts environnementaux, chez WSP au Canada. La prochaine étape est de valider en temps réel la prédiction du risque par le modèle, qui utilise l’intelligence artificielle, les données de trafic maritime et les conditions dans le golfe qui sont favorables aux baleines noires. Une telle prévision du risque permettrait de limiter les zones de restrictions pour les navires et les pêcheurs.
Les copépodes
WSP utilise notamment les traces huileuses que laissent sur l’eau les bancs de copépodes, du zooplancton dont se nourrissent les baleines noires. Ces taches sont visibles sur les photos satellites. WSP a travaillé avec des chercheurs universitaires et gouvernementaux, ainsi que le groupe danois DHI Water & Environment, spécialiste de la modélisation de milieux aquatiques. Une autre technologie retenue par l’ASC, mise au point par la firme québécoise Actus, modélise les courants et les conditions du golfe en 3D. Le PDG d’Actus, Simon Bélanger, de l’Université du Québec à Rimouski, pense que sa technologie rendrait le modèle de WSP encore plus performant.
Gérer les baleines comme les navires
Trois autres technologies retenues identifient les baleines sur les images satellites. Actuellement, leur positionnement dépend de signalements de navires, de campagnes d’observation aérienne, de bornes acoustiques et de puces GPS sur des baleines noires. « L’objectif est de suivre plus de baleines noires, plus souvent », explique Laurent Giugni, agent de programmes, utilisation et services de l’observation de la Terre, à l’ASC. L’une des trois technologies, OCIANA, de la firme néo-écossaise Global Spatial Technology Solutions, est déjà utilisée pour suivre les navires. L’ASC, qui a lancé le projet en 2021, a maintenant terminé son mandat. Il faudrait un financement additionnel, potentiellement de Transports Canada, pour les tests encore nécessaires avant une utilisation opérationnelle.
L’a b c de la baleine noire
La baleine noire, une espèce qui compte moins de 400 individus, a depuis une dizaine d’années migré vers le nord, passant l’été dans le golfe du Saint-Laurent. Depuis 2018, des zones de pêche sont ainsi fermées dans le golfe et des restrictions de vitesse s’appliquent à d’autres. Entre 2017 et 2019, la mort de 21 baleines noires a été recensée dans le golfe, mais aucune depuis. La baleine noire était presque disparue il y a 100 ans, mais a connu une lente renaissance, la population frisant les 500 il y a 15 ans.
Des pionniers
En 2021, le projet de l’ASC faisait figure de pionnier, selon M. Giugni de l’ASC. Ce dernier est maintenant impliqué dans un projet similaire, plus ambitieux, de l’Administration océanographique et atmosphérique américaine (NOAA). Patrick Lafrance, de WSP, parle aussi d’un intérêt d’autres pays comme l’Australie et dans les Caraïbes. Michèle Laflamme, gestionnaire, Géospatial et solutions numériques, sciences de la Terre et environnement, chez WSP au Canada, ajoute que d’autres divisions de l’entreprise souhaitent proposer cet algorithme à leurs clients. Elle a récemment fait une présentation à Londres. « Ça pourrait être utile pour les éoliennes offshore », dit M. Lafrance.